L'Etranger

Publié le par Milan

Trop souvent dans ma vie, j'ai eu l'impression d'être décalé. Pas à ma place. En somme, étranger.


Je vis actuellement dans un territoire français d'outremer, au milieu d'un peuple chaleureux, mais dont je ne partage ni la langue, ni la culture, ni les traditions. Je suis un Blanc, autrement dit un habitant de passage, un touriste. Même si je vivais 15 ou 20 ans ici, je ne serais jamais totalement intégré.

Ce n'est pas la première fois que je suis expatrié, et je le sais bien : on a toujours ce sentiment doux / amer d'exclusion. Vivre au sein d'une communauté différente est très enrichissant, mais aussi frustrant car vous sentez bien que vous ne pourrez jamais en faire vraiment partie.


La banlieue


Pourtant, c'est bien en France que tout a commencé. En banlieue où j'ai grandi, être un petit Blanc de la classe moyenne vous cataloguait d'office comme "bourgeois". C'est-à-dire une cible facile pour les bandes de lascars. Il ne fait pas bon être un petit Blanc en banlieue : vous êtes faible car minoritaire, mais on vous déteste car vous êtes supposé faire partie de la majorité privilégiée.

Autour de moi, je voyais les petits Blancs imaginer des stratégies pour s'en sortir : soit devenir eux-mêmes des racailles plus vraies que nature, soit se replier sur d'autres identités minoritaires (Portugais, Italiens)... soit fuir la banlieue. En tout cas, je n'en ai jamais vu aucun s'assumer en tant que Français. La Coupe du Monde de 98 avait changé ces choses, mais l'effet s'est finalement vite dissipé.

Avec mes potes, on ne comptait plus le nombre d'embrouilles avec des bandes. Mais le pire, c'était pour les filles, qui avaient le plus grand mal à se faire respecter dans la rue. Parfois on aurait souhaité vivre en province, bien tranquilles, dans ces coins où il n'y a que des Blancs et où personne ne nous aurait remarqués.


Les études

Mes études m'ont parachuté dans le XVIe arrondissement de Paris, l'un des zones les plus riches de France. Là, j'ai brutalement découvert la bourgeoisie, la vraie, cette fois, celle qui flirte avec l'aristocratie dans les quartiers de luxe.

Mes camarades de classe avaient un tel train de vie que je les regardais comme des extraterrestres. Ils conduisaient des décapotables, vivaient dans des appartements de 200 m², partaient skier l'hiver en Suisse et bronzer l'été à St Bart. Avec leurs polos Ralph Lauren et leur petite raie sur le côté, ils n'auraient pas tenu 10 minutes dans ma banlieue.

Et pourtant, ils avaient cette incroyable confiance de ceux qui ont toujours tout obtenu, cette autorité naturelle de ceux qui sont habitués à commander. Je savais bien qu'on ne partait pas tous avec les mêmes chances dans la vie. Mais je ne pensais pas que les dés étaient pipés à ce point, dès la naissance.

Dans ce monde-là, sortir de banlieue (à part Neuilly, peut-être) ou être fils d'ouvrier, c'était pareil : vous n'existiez pas. Ce n'est pas un monde dans lequel on rentre, c'est un monde dont on fait partie. Je crois que jamais je ne m'étais senti aussi décalé.


L'expatriation

Peut-être pour éviter d'être un étranger dans mon pays, j'ai préféré l'être pour de bon, dans un autre pays. J'ai vécu d'abord aux USA, ensuite dans les territoires d'outremer. J'ai ressenti ce que ressentent les immigrés : la différence, la nostalgie, la curiosité bienveillante des gens, plus rarement le rejet, ou le racisme.

Etre étranger vous confronte d'abord à vous-même. Cela vous oblige à vous poser des questions sur ce que vous êtes, sur ce que ça veut dire "d'être Français". D'avoir une culture et de racines.

Je ne sais pas encore comment je trouverai la France à mon retour. Probablement rien n'aura changé : toujours des communautés qui vivent côte à côte sans enthousiasme, sans but ni idéal commun. En tout cas une chose est sûre, je passerai enfin inaperçu.


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U
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> je découvre ce blog que j'apprécie déjà fortement : ça fait plaisir de lire des choses que mes pensées auraient aimé avoir formulé ! Faut dire  que je suis un mec gentil qui a fait une école<br /> d'ingénieur et qui comprend pas pourquoi il aime regarder des films porno (enfin des vieux films, parce qu'après 1980, c'est comme pour l'agriculture, l'approche industrielle a tout saccagé..)<br /> <br /> <br /> Mais pour revenir à ce joli texte, ça me fait penser à cette jolie chanson :<br /> <br /> <br /> http://www.dailymotion.com/video/x5kh80_les-joyeux-urbains-zoulette_music<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> http://www.dailymotion.com/video/x6a43z_les-joyeux-urbains-zoulette_music<br /> <br /> <br /> <br />
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S
<br /> une occase où jamais de refiler ma référence marotte : "l'homme en dehors", en anglais "outsider", de Colin Wilson. Etre étranger est une expérience existentielle, autant que socialement<br /> déterminée.<br /> <br /> <br />
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M
En effet, cela peut arriver partout, pas seulement en France pour un petit Blanc. Il y a trop souvent des choses, plus ou moins visibles, qui nous rendent différents aux yeux des autres. L'origine, la langue, la couleur, la position sociale...Toutes mes amitiés à tous ceux qui se sentent étrangers quelque part.
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V
Bonjour il n'y a pas qu'en France que l'on peut se sentir décalé, j'ai ressenti les mêmes choses à quelques années de différences  à quelques pas de l'ex frontière Nord de la France!  Difficile à gérer... Et en plus être un Juif-catho- (s'ils revenaient... soyons prudents pour le "petit"!!!); jlamand mais francophone... Une horreur à vivre  dont le père Sigmund ne m'a pas débarassé!  En tous cas,  votre texte traduit superbement "ce décalage". Merci! et bon courage!
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M
C'est vrai, et c'est pour cela que j'ai bien pris soin de préciser afin de pas être trop parisien : "dans ces coins où il n'y a que des Blancs"
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