Conflits de générations
Mai 68 : une date qui focalise à elle seule tous les conflits générationnels et politiques de la France, comme un astre autour duquel tout gravite.
Encore aujourd'hui, tout se définit par rapport à elle : les grèves de 95, les manifs anti-CPE, tout est mesuré "sur l'échelle de Mai 68" (étant entendu que tout y est inférieur, bien sûr)
Mes parents "ont fait" 68, comme on dit, et cela revient régulièrement dans nos conversations, politiques ou pas. Ils ont vécu toutes ces choses un peu mythiques, un peu "cliché", dont on a fait tant de films : les squats dans les amphis, les manifesations de jeunes chevelus et les charges de CRS, les baisers passionnés entre deux bombes lacrymogènes, les meetings politiques enflammés, et cette conviction qu'à 20 ans ils allaient "changer le monde".
J'essaye de les imaginer, ces jeunes, étaient-ils si différents de nous ? Sans doute... ils pensaient à la révolution et à une société nouvelle, ils étaient prêts à gueuler dans la rue et à provoquer à la fois leurs parents et l'Etat. Ils se sentaient investis d'une mission collective.
Ils ont eu la chance de vivre au carrefour de l'Histoire, là où tous les courants se sont mis soudain à bouillonner : quelque part entre la guerre froide, la pilule qui a bouleversé la conception de la famille, la vague sans précédent de la libération sexuelle, le féminisme et le déclin du christianisme, il y a une génération consciente qui a su se lever, prendre la parole et se définir par elle-même. Inventer son propre mode de vie, sa propre musique, ses propres slogans...
Qu'est-ce qu'on a, nous, en comparaison ? ou plutôt, qu'est-ce qu'on est ?
Enfant des années 80 et 90, je fais partie d'une génération aux contours flous, qui n'a pas d'existence collective (en dehors du Club Dorothée, s'entend). Rien ne nous a jamais réunis d'un bloc. Les manifs anti-CPE, ça me fait bien rire, elles n'ont pas plus de portée que celles de ma jeunesse contre les lois Devquet, ou plus tard contre Balladur : des mouvements ponctuels et éphémères, des réactions épidermiques pour faire retirer une loi. Ca ne va pas plus loin.
J'ai grandi avec le SIDA et le chômage en toile de fond, c'était sinistre. La libération sexuelle et les moeurs relâchées des années 70, ce n'était même plus un souvenir, mais carrément un mythe.
Mes années d'études n'ont pas été très politisées : je garde surtout l'impression d'un grand individualisme, et de la préoccupation de chacun de se trouver un boulot, de se fondre dans l'économie moderne : surtout être flexible, toujours paraître motivé et dynamique, et garder un oeil opportuniste pour se vendre chez le concurrent à un meilleur salaire dès que possible.
Mais qu'est-ce qu'on a inventé, qu'est-ce qu'on a apporté ? Rien. Rien de neuf.
On a juste remixé les standards musicaux de nos parents, et on a inventé le concept de rave-parties dans les champs. Waaah, la belle affaire !! En vérité, on s'est juste insérés en silence dans le monde tel qu'il est. On a fait avec, on a pris ce qu'il y avait à prendre.
C'est dommage, on était peut-être une génération de gens biens, dans le fond.